Ces biens essentiels
Céline Pina, qui s’est signalé par d’autres prises de position courageuses, pourfend dans cet ouvrage l’idée réductrice des « biens essentiels » imposée par l’Etat face à la crise sanitaire. Elle montre en quoi l’accès à la culture pendant les périodes de crises reste un enjeu vital.
La « guerre » sanitaire a tendance à confondre besoins primaires et bien essentiels. Elle se concentre sur la part animale de l’homme, sur les besoins biologiques : manger, boire, s’abriter. Or pour les citoyens, ce qui est ressenti comme essentiel n’a rien à voir avec ce que la décision technocratique définit comme tel.
La crise sanitaire qui nous enjoint de protéger la vie quelle qu’en soit le prix, selon les discours du pouvoir, amène à ce que la notion de bien essentiel soit rattaché au biologique et non au culturel. Dans le même temps, on prive l’homme de toute prise sur les évènements et de toute possibilité d’action, ce qui lui ôte de fait toute capacité à peser sur la décision politique et suscite un sentiment de dépossession qui alimente celui complot et de la manipulation. L’absence de confiance du peuple dans ses autorités obligent celles-ci à parler de responsabilités mais à miser sur la coercition et la déstabilisation. La fermeture de toute activité en coupant l’homme de son environnement social et de ses habitudes, fait que toute sa réalité se règle sur le virus. Dans le même temps seuls ses besoins primaires sont pris en compte, comme si d’ores et déjà sa vie se réduisait à la survie.
Mais pour l’homme, durer jusqu’au jour d’après ne peut être un objectif, contrairement aux véritables périodes de guerre où chacun est confronté à des enjeux qui l’engagent de manière plus cruciale. L’homme, par nature, s’inscrit dans le temps long et reste un être de projet. Collectif et personnel. Or la guerre, la crise évacuent le personnel au profit du collectif. C’est la masse qui compte, pas l’individu. Or réduit au statut d’élément d’un tout, l’homme devient ou est pensé comme animal humain. C’est un homme avili, descendu du piédestal de la civilisation, réduit à ses besoins physiologiques.
L’auteur revient sur la définition de qui est « essentiel » pour chacun d’entre nous : « Pour l’être humain, le bien essentiel est une quête, souligne-t-elle. De soi, de l’autre, de l’inconnu ou du familier. Une quête qui dépasse les frontières du temps et de l’espace. L’homme c’est aussi un imaginaire à nourrir, des peurs à apaiser, un désir à accueillir. C’est un être de culture plus que de nature. C’est pour cela qu’il façonne le monde et ne se contente pas de l’adaptation. Le bien essentiel des hommes c’est la compagnie de leur semblable et la possibilité de choisir les meilleurs d’entre eux pour grandir et trouver sa place dans le monde. Et pour cela nous avons besoin de livres, de théâtre, de musique, de sculpture, de peinture… Dans une crise sanitaire qui ne voit en nous que l’animal humain, la culture est ce qui nous rattache à la civilisation. »
« Et si la crise sanitaire nous avait réduit de l’état de citoyen autonome, à celui d’assujettis à prendre en charge ? s’interroge enfin Céline Pina. Nous acceptons les restrictions de liberté car elles nous déchargent de nos responsabilités personnelles, tout en nous permettant la critique permanente. Mais les protestations et énervements parlent-ils d’une nation qui accepte aujourd’hui les contraintes mais compte bien reprendre en main son avenir ? Ou d’une société absurde, prête à tout sacrifier à la logique sanitaire et qui baptise guerre l’arrivée d’un virus au sein de sa population ; pendant qu’attaqué intentionnellement sur le terrain du régalien par des forces constituées et des ennemis caractérisés, le pouvoir ne se donne pas les moyens de protéger sa population. Trop de « guerre » contre le virus, pas assez contre les islamistes ? La culture et la connaissance seraient-elles là aussi les bonnes réponses ? »
Céline Pina
Ancienne conseillère régionale d’Île-de-France (PS), Céline Pina est la fondatrice de Viv(r)e la République, mouvement citoyen, laïque et républicain. Essayiste, elle a déjà publié Silence coupable (Kero, 2016).