L’Infini dans la paume de la main
On entend souvent dire que les rapprochements entre la science et la spiritualité sont voués à l’échec, car ces deux disciplines sont trop étrangères l’une à l’autre. Comme l’observait le grand physicien Niels Bohr : » Le but de la science est d’augmenter et d’ordonner notre expérience et non pas de révéler l’essence réelle des phénomènes. » La science finit donc par se heurter à des obstacles qui lui signalent que la nature de la réalité n’est pas ce qu’elle croyait. C’est dans cet aspect, révélé par la mécanique quantique et la relativité, que la science peut se rapprocher du bouddhisme puisqu’il s’interroge avant toute chose sur la nature ultime de la réalité ou de l’irréalité des phénomènes et de la conscience et traduit ses conclusions par une approche pragmatique du vécu de l’existence.
La différence majeure entre la science et le bouddhisme réside dans leurs finalités. L’acquisition des connaissances dans le bouddhisme a avant tout un but thérapeutique. Il s’agit de se libérer de la souffrance, dont la cause se révèle être une forme particulière de l’ignorance : une conception erronée de la réalité extérieure et du » moi » que nous imaginons incarner le souverain de notre être.
Les entretiens présentés ici n’ont pas pour but de donner à la science une allure de mysticisme ou d’étayer le bouddhisme par les découvertes de la science. Il ne s’agit pas de mettre en évidence des ressemblances plus ou moins superficielles entre l’approche contemplative bouddhiste et les théories scientifiques qui sont destinées à changer dans le futur comme elles ont changé dans le passé, mais de situer la place de la science dans une conception plus vaste des choses et de la vie et de montrer que l’approche du bouddhisme est apte à détendre les tensions entre le réalisme (le point de vue ordinaire selon lequel les phénomènes existent d’une manière aussi solide et réelle qu’ils en ont l’air) et les résultats de la science moderne, qui vont à l’encontre de cet attachement tenace à la réalité intrinsèque des choses, et donc à offrir un cadre de pensée et d’action cohérents pour notre temps.
En été 1997, dans la vallée pyrénéenne d’Andorre, un Vietnamien né bouddhiste et devenu scientifique et un Français scientifique devenu bouddhiste marchent des heures durant dans la montagne en discutant avec feu les problèmes métaphysiques fondamentaux sur lesquels la science et la religion se sont depuis toujours interrogées. De ces promenades et des rencontres de l’université d’été auxquelles ils participaient avec d’autres éminents savants, est née l’idée de ce livre : explorer la nature de la réalité du monde phénoménal, de la matière et de la conscience, selon deux approches totalement différentes mais toutes deux fondées sur l’expérience : l’une physique et mathématique, l’autre contemplative.
Matthieu Ricard
Matthieu Ricard, fils du philosophe français Jean-François Revel et de l'artiste peintre Yahne Le Toumelin, est moine bouddhiste, auteur, traducteur et photographe. Après un premier voyage en Inde en 1967 où il rencontre de grands maîtres spirituels tibétains, il termine son doctorat en génétique cellulaire à l'Institut Pasteur en 1972 sous la direction de François Jacob, puis part s'installer définitivement dans l'Himalaya où il vit depuis plus de 45 ans. Il réside au monastère de Shéchèn au Népal.
Sous l'égide de l'Institut Mind and Life il collabore depuis une douzaine d'années à plusieurs programmes de recherches en neurosciences sur les effets de l'entraînement de l'esprit et de la méditation dans les Universités américaines et Européennes. (www.matthieuricard.org)
L'association humanitaire qu'il a créée, Karuna-Shechen (www.karuna-shechen.org) a développé 130 projets éducatifs, médicaux, et sociaux dans la région himalayenne. Il lui dédie l'intégralité de ses droits d'auteurs et bénéfices de ses activités.
Chez NiL, il a publié, entre autres, Le Moine et le Philosophe (avec son père Jean-François Revel), Plaidoyer pour le bonheur, L'Art de la méditation, Chemins spirituels et Plaidoyer pour l'altruisme.