La plus que parfaite
Brooklyn, les années 1970.
Elles sont quatre, elles ont la cinquantaine, elles passent leurs après-midi à jouer au mah-jong où, tout en maniant les tuiles, elles se montrent fort agiles de la langue : elles parlent, dégoisent, papotent, jacassent…
Leurs maisons sont tenues dans un ordre parfait, elles cuisinent bien, surtout les pâtisseries dans des recettes héritées de leurs mères et de leurs grands-mères. Elles célèbrent les grandes fêtes juives comme Hanoukka ou Pessah, la bar-mitsvah de leurs garçons, mais ne sont pas très croyantes. Elles ont de l’humour, de la bonté, et de l’affection les unes pour les autres.
Tout près, au lycée du coin, où se retrouvent tous les enfants de Brooklyn, se jouent des drames souterrains : chez les professeurs, d’abord.
John Wosileski, professeur de géométrie incorrigiblement optimiste, est éperdument épris de Valentine, la fille de Miriam, sans oser bien entendu lui déclarer sa flamme. Cet homme de vingt-cinq ans n’a rien d’un séducteur ; il mène une vie misérable, sans amis, sans argent, sans distraction. Inexplicablement, Valentine s’est aussi entichée de lui.
Chez les élèves ensuite, des petits drames qui n’ont pas l’air de prêter à conséquences, mais où les jeunes filles perdent leurs premières plumes, usent et abîment sur la vie leur courage et leurs espoirs : Beth, championne de skate, ne veut plus de Valentine comme amie, la trouvant trop peu normale à son goût ; elle est à son tour abandonnée, par sa nouvelle amie, et par son petit ami, et fait l’expérience de la solitude et du remords, sans en sortir grandie.
Valentine, elle, énigmatique et renfermée, d’une beauté à couper le souffle (elle ressemble aux images de la Vierge Marie sans que personne ne s’en rende compte) suit les inclinations de son coeur sans jamais se mentir, mais sans jamais un regard en arrière, et semble venue d’un autre monde.
Durant un peu plus d’une année, les destins de ces quelques habitants de Brooklyn se sont croisés, déchirés, anéantis.
À la fin, il ne restera qu’une prière d’espoir. Et un enfant comme un miracle…
Binnie Kirshenbaum
Binnie Kirshenbaum est professeur d'écriture à l'université de Columbia. Elle a publié plusieurs ouvrages, dont le dernier, Poésie, sexe et mélancolie a été publié en France en 2001.