Le bruit des clefs
« A tout à l’heure mon petit chat », lance gaiement un père à sa fillette de neuf ans, qui ne le reverra jamais. Un mystère tombe et ne quittera plus la narratrice : la mort. Alors que les adultes font entendre leurs sanglots, un étrange silence se fait en elle, celui du bruit des clefs que son père lançait à l’entrée de la maison. Sans ce tintement familier qui rythmait l’enfance, il faudra donc faire résonner dans la vie une autre musique… Anne invente la sienne, discrète et entêtée, à mesure que se succèdent les disparitions. Elle relève le défi qui lui est lancé, regarde le passé de toute une famille éteinte droit dans les yeux, apprend comment les siens ont été broyés par la Shoah et découvre, dans le même temps, la force de son legs. De la merveilleuse imprimerie de l’oncle Léon, située passage de l’Espoir, rien n’a été sauvé de la barbarie nazie… Sauf, peut-être, l’éternité de l’espoir. Libre d’être seule, solitaire dans l’exercice de cette liberté, Anne peut retrouver une enfance idéale dans ce que son père a créé : les aventures d’un Gaulois, les facéties d’un écolier prénommé Nicolas, et l’affection immense que portent à ces personnages des millions de lecteurs dont les yeux pétillent dès qu’ils voient apparaître sur une couverture le nom du père d’Anne – ce nom qui est aussi le sien, Goscinny. Mais pour se le réapproprier pleinement, encore faut-il bâtir une passerelle vers un imaginaire plus intime, cristallisé en un lieu dérobé, là où se recueillent les quelques souvenirs fragiles d’un amour fou entre père et fille. Ce sont ces images-là, nichées dans le secret de sa mémoire, que l’auteur rassemble dans une quête fondamentale, avec l’aide de tous les pères de substitution qui l’ont suivie pas à pas.
Anne Goscinny
Née au beau milieu des « événements » de mai 68, Anne Goscinny a appris très jeune à essuyer bourrasques et tempêtes. Elle suit des études de lettres, se passionne pour la chanson, écrit des textes pour Serge Reggiani, puis devient journaliste pour le Magazine littéraire, L'Express, le cahier livres du Figaro et Paris Match. Après le décès de sa mère, elle se charge de veiller sur le patrimoine artistique de son père, René Goscinny. En 2004, elle crée les éditions IMAV avec Aymar du Chatenet, et publie trois volumes d'histoires inédites du Petit Nicolas. Son propre imaginaire apparaît dans toute sa force dès son premier roman, Le Bureau des solitudes, où elle met en scène six personnages, « clients » ou « patients », dans un huis clos à la merci d'un narrateur prêt à confondre le regard de l'avocat et l'oreille de l'analyste : chez Anne Goscinny, la psyché humaine est un théâtre autour duquel le spectateur tourne inlassablement. Ce souci d'une structure romanesque ambitieuse au service de l'exploration de sentiments universels se retrouve dans Le Voleur de mère, Le Père éternel et Le Banc des soupirs, tous parus chez Grasset. Sérieuse dans la fantaisie, aérienne dans le drame et déterminée dans sa quête de vérité, Anne Goscinny construit, depuis une dizaine d'années, une oeuvre d'une belle cohérence où tout est affaire d'équilibre, où l'intimité regarde la fiction avec envie, et réciproquement.