Les Chirac
« J’ai eu un petit pépin. Je ne sais pas si je rentre ou si je reste… » La violente migraine du président de la République, ce 2 septembre 2005, est un accident vasculaire cérébral. Il ne rentrera pas à l’Élysée. Jacques Chirac est contraint de passer une courte semaine à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce. Six jours interminables pendant lesquels se mettent en place les ressorts tragiques de la fin du pouvoir.
Autour du vieux lion qui combat désormais par réflexe plus que par goût, les personnages de sa vie. Bernadette, épouse vigilante et impératrice inflexible qui prétendra régenter son agenda. Claude, sa fille, vestale du feu politique chargée de faire croire qu’il brûlera à jamais. Et puis Frédéric Salat-Baroux, le secrétaire général de l’Élysée, « le dernier chambellan » qui va peu à peu entrer dans le cercle intime de la famille.
Insensiblement, tandis que le quinquennat ressemble chaque jour davantage à une pathétique fin de règne, ce trio, tantôt soudé, tantôt déchiré par des passions contraires, va prendre en main la destinée du souverain. La presse dénonce son affaiblissement patent ? On trouve un scribe, Pierre Péan, pour tresser la légende du dernier président. Et quand le biographe aura rempli son office, il se verra interdit de séjour pour s’être trop approché des secrets.
L’enfer personnel du président est fait d’ennui, de solitude, de maladie. Un jour, dans la salle des fêtes de l’Élysée, après une cérémonie, le chef de l’État s’était approché de moi qui le suivais, chaque jour, pour Le Monde. À peine m’avait-il adressé la parole que sa fille Claude dépêchait un fidèle pour le soustraire à d’éventuelles questions. « Vous voyez ? On m’empêche de vous parler », avait alors lancé Chirac, mi-hilare mi-contrit, en s’éloignant.
De cet isolement subi et consenti il n’est jamais sorti. Que les juges l’attendent aux portes du Palais, que la maladie le frappe, et ces circonstances aggravantes donnent à sa femme, à sa fille, à son gendre, des motifs respectables pour resserrer leur étau, fait d’amour et d’ambition. Même en vacances, désormais, ils préfèrent le savoir à l’abri d’un palais royal au Maroc plutôt qu’à l’hôtel où il a ses habitudes. S’est-il jamais senti libre ?
Les magazines racontent aujourd’hui une édifiante histoire sur papier glacé avec des bribes savamment distillées. Au-delà de la parole officielle, voici l’histoire d’un clan, d’une famille consumée au feu du pouvoir.
Récipiendaire du Prix du livre politique 2015.
Béatrice Gurrey
Journaliste et grand reporter au Monde, Béatrice Gurrey a consacré plusieurs articles à Jacques Chirac et à sa famille. Elle a publié en 2004 Le Rebelle et le Roi chez Albin Michel.