Les guérir
C’est avec l’appui d’Himmler, numéro 2 du pouvoir nazi, que Carl Vaernet put réaliser ses sinistres expériences sur quinze détenus au camp de Buchenwald en 1944. Mais ses forfaitures, maintes fois évoquées au procès de Nuremberg, n’ont jamais fait l’objet de poursuites judiciaires et sont donc restées impunies. Le docteur Vaernet a fini sa vie en Argentine où il est mort en 1965 à l’âge de 72 ans.
Fils d’éleveurs, Carl Vaernet avait hérité de son milieu une pensée eugéniste et productiviste en vogue au début du XXe siècle. Médecin apprécié et recherché dans son pays, il voyage à travers l’Europe d’avant-guerre pour mettre au point le procédé censé sauver les « invertis » : une capsule diffusant des hormones dans le corps de façon continue. Ses recherches éveillent la curiosité des plus hautes instances nazies et lui permettre de rencontrer ses principaux représentants, dont Himmler. Lequel veut lui aussi trouver une solution pour régler le problème homosexuel, sa deuxième obsession après les Juifs.
En 1943, menacé au Danemark par la résistance, Vaernet trouve refuge à Berlin où il est accueilli en rédempteur. Il prête serment à Hitler devant Himmler qui le fait embaucher par un laboratoire pharmaceutique à Prague, lui ouvre les portes de Buchenwald et lui fournit des cobayes. En 1944, Vaernet se rend trois fois dans ce camp où il réalise deux séries d’opérations qui se soldent par des échecs tragiques. À la fin de la guerre, Himmler le rencontre une dernière fois pour assurer la pérennité de « l’invention ». Contraint de quitter l’Allemagne nazie en train de s’effondrer, Vaernet est arrêté dans son pays en 1945. Relâché par une police corrompue, il part en toute légalité en Suède d’où il s’enfuit en Argentine où il est accueilli à bras ouverts par le président Juan Perón et son ministre de la Santé.
Dans ce roman vrai ou cette biographie romancée, l’auteur montre comment l’obsession du Bien et celle de la norme peuvent conduire aux confins du Mal et au pire des fanatismes. Il décrit son personnage tel qu’il est, non comme un monstre diabolique, ni même comme un homophobe hystérique, mais comme un homme presque ordinaire qui s’est un jour persuadé que sa vocation était de « sauver l’humanité ». Sa volonté était non de punir mais de « guérir » les homosexuels, autrement dit de combattre ce qui était perçu par les dirigeants nazis et une large partie de l’opinion publique comme une maladie particulièrement nocive.
Cette idée de l’homosexualité identifiée à une pathologie reste aujourd’hui vivace dans certains pays totalitaires où l’on continue, comme en Chine, d’ouvrir des cliniques spécialisées dans la guérison des homosexuels. Mais le roman d’Olivier Charneux dépasse ce seul cas pour illustrer à travers lui tous les dangers d’une certaine « éthique médicale » guidée et inspirée par une vision moralisatrice et régulatrice de la société.
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Olivier Charneux
Olivier Charneux a publié son premier roman, La Grande Vie, chez Stock en 1995, à 32 ans. Suivront sept livres en majorité autobiographiques publiés aux éditions Stock et au Seuil. Son dernier livre, Tant que je serai en vie, a paru chez Grasset en 2014.