Portraits littéraires
L’opposition à Sainte-Beuve ne date pas de Proust. Celui que Musset appelait « Sainte-Bévue » et Victor Hugo « Sainte- Bave » ne s’est-il pas trompé sur tous les grands écrivains de son temps ? N’a-t-il pas préféré la Fanny de Feydeau à Madame Bovary et les poésies de Banville à celle de Baudelaire ? Hier, comme aujourd’hui la critique ne se trompe jamais qu’à ses dépens. Quel immense talent, en revanche, quand il s’agit de présenter les écrivains du passé, ceux que l’histoire a confirmés et qu’il ne s’agit plus de défendre mais de comprendre. Pour eux, Sainte-Beuve a inventé un genre, le portrait littéraire : « Je pense sur la critique deux choses qui semblent contradictoires et qui ne le sont pas : 1° Le critique n’est qu’un homme qui sait lire, et qui apprend à lire aux autres. 2° La critique telle que je l’entends et telle que je voudrais la pratiquer, est une invention, une création perpétuelle. » Créations hautes en couleur que l’évocation des grandes figures du classicisme (Corneille, Racine, Molière), des Lumières (Diderot, Prévost, A. Chénier), du romantisme (Vigny, Chateaubriand, J. de Maistre). Aux noms connus se mêlent ceux qui le sont moins : Ampère, Nodier, Vinet. Sainte-Beuve les fait revivre : « La critique est pour moi une métamorphose : je tâche de disparaître dans le personnage que je reproduis. » Le peintre s’identifie à son modèle ; il devient écrivain à son tour : « La critique littéraire ne saurait devenir une science toute positive ; elle restera un art. » Critique créatrice, moderne et vivante, ennemie de toute pédanterie : « Il faut écrire le plus possible comme on parle et ne pas trop parler comme on n’écrit. » Avis aux Aristarque de nos jours.