Souvenirs et chronique de la duchesse de Dino, nièce aimée de Talleyrand
Sans les centaines de pages écrites par la duchesse de Dino durant quarante ans, il manquerait quelque chose à ce qui fit le charme de la société européenne, de sa civilisation et de son histoire, depuis la fin du premier Empire jusqu’au milieu du second. C’est que la très belle Dorothée, qui tourna la tête de bien des contemporains, n’était pas seulement une fleur de la plus haute aristocratie, elle était spirituelle et lucide, d’une bonne culture littéraire et politique, d’une insatiable curiosité des faits, petits et grands, et d’un fort tempérament. Elle a connu et elle décrit toutes les têtes couronnées de son temps et les principaux hommes d’État, de Metternich à Wellington et à Thiers et Guizot, rapporte tous les échos de cour et de gouvernement, s’immisce dans la politique, juge les écrivains et les artistes, de Londres à Vienne et Saint-Pétersbourg, de Berlin à Rome, et surtout de Paris où elle résida une grande partie de sa vie. Elle avait en effet lié son sort à celui de Charles Maurice de Talleyrand-Périgord, en épousant son neveu. Elle devint, à partir du congrès de Vienne où elle l’accompagna avec éclat, la maîtresse de sa maison comme de sa personne dont elle eut au moins un enfant, et elle fut toujours sa confidente. Elle le suivit à l’ambassade de Londres en 1830 et organisa sa mort en 1838, ce qui nous vaut des pages parmi les plus saisissantes, à l’instar de celles qu’elle consacre aux révolutions de 1848. Mais la reine des salons, arrière-grand-mère de Boni de Castellane, est aussi, au fin fond de la Silésie, un grand seigneur souverain qui reçoit chez elle le roi de Prusse et règne sur des dizaines de paroisses, des centaines de paysans et des milliers d’hectares ? dépaysement garanti. Écrits dans un style aussi simple que séduisant les Souvenirs rédigés en 1822, et qui vont de sa petite-enfance à son mariage en 1809, puis la Chronique qui court au jour le jour de 1831 à sa mort en 1862, constituent un document d’une immense valeur sur laquelle les historiens, qui l’ont souvent utilisé sans assez le dire, ne se sont pas trompés.
Duchesse De Dino
Fille du dernier prince régnant de Courlande ? la Lettonie méridionale ?, Dorothée, née russe en 1793, grandit à Berlin près de la famille royale de Prusse. En 1809, Talleyrand, pour prix de sa trahison à Erfurt, l'obtint en mariage du tsar Alexandre pour son neveu Edmond. Dorothée devint ainsi comtesse de Périgord, et dame du Palais de l'impératrice Marie-Louise, avant d'être titrée duchesse de Dino, puis de Talleyrand et de Sagan. Dès lors, elle a toute l'Europe à ses pieds, à commencer par son oncle Charles-Maurice, auquel l'unit un lien indéfectible d'affection et d'admiration. Après le congrès de Vienne, où elle fit sensation, le salon parisien qu'elle tient pour son oncle et aussi pour son propre compte devint un haut lieu de rencontres politiques et diplomatiques comme à l'ambassade de Londres, dont le succès lui doit beaucoup : tenant souvent la plume pour Talleyrand et brillant par ses multiples talents. Sous la monarchie de Juillet, familière de la nouvelle dynastie, elle contribue au mariage du jeune duc d'Orléans avec la duchesse Hélène de Mecklembourg. Elle réside alternativement à Paris et Berlin, et de plus en plus souvent dans l'un de ses châteaux, Sagan en Silésie. C'est là qu'elle décède en 1862, après avoir enflammé l'Europe par sa beauté, son intelligence et son énergie, et inondé ses proches d'une immense et admirable correspondance dont une partie se retrouve dans ce volume l'essentiel ayant disparu dans l'incendie de Sagan en 1945. Anne et Laurent Theis ont édité dans « Bouquins » en 2014 les deux volumes de l'Histoire des Girondins, de Lamartine, qui ont connu un beau succès.