Vincennes
Au lendemain de Mai 68, l’université française devrait être devenue un champ d’expérimentation, un terrain de jeu révolutionnaire, un laboratoire de la pensée. Mais les campus édifiés à la va-vite, à la merci des pesanteurs administratives, ne ressemblent toujours pas à leurs luxueux modèles américains. Entre la prestigieuse forteresse de la Sorbonne, guindée dans ses vieux habits, et ces « modernes » conglomérats de bric et de broc, relégués dans les banlieues des grandes villes, où va-t-on accueillir le flux des baby boomers qui rêvent encore du Grand Soir ? Aussi intense et fugace que l’instant janséniste sous Louis XIV, la fronde de Vincennes a vu défiler, dans un joyeux désordre, les derniers grands intellectuels d’une époque : Schérer, Deleuze, Lyotard ou Foucault ont joué le jeu de cette étrange faculté ouverte à tous, étudiants et ouvriers, bacheliers ratés et cancres dilettantes. Formé à la philosophie dans le moule institutionnel, l’auteur nous raconte comment il choisit d’aller traîner ses baskets dans l’étrange foutoir de cette faculté. De cette expérience qui l’a marqué à jamais, il fait maintenant le bilan et s’adresse à sa vieille camarade, Vincennes, non pour l’accuser de ne pas avoir tenu ses promesses, mais pour comprendre ce qui reste d’elle. C’est donc à une visite dans le coeur palpitant d’un monde où tout était possible que nous invite l’auteur. Dans la parenthèse qu’aura été Vincennes – bien vite rasée par le pouvoir en place -, les philosophes se crêpaient le chignon sur l’estrade, les hiérarchies s’inversaient, la raison du plus fort était celle de la paresse, et sans-papiers ou exilés de tout poil trouvaient refuge là où l’interdiction d’interdire servait de passe-partout.
Bien sûr, au-travers de ce portrait vif et tapageur, la morne résignation de notre temps n’en est que plus frappante, mais cette lettre sans regrets ni amertume transmet tant d’énergie que l’on pourra y croire : le cadavre bouge encore !
Bruno Tessarech
Après une première carrière de professeur de philosophie, Bruno Tessarech a définitivement lâché son cartable pour écrire. C'est souvent la question même de l'écriture qui se pose dans ses romans (La Machine à écrire, Villa blanche), où le chemin de la pensée semble se fondre progressivement dans le récit pour que l'imaginaire se déploie. Mais le monde réel est toujours présent, qui veille, et les liens entre les personnages et l'extérieur se serrent toujours plus étroitement.
Chez Bruno Tessarech, toute fiction a son histoire et toute histoire, sa fiction. C'est parce qu'il a contracté la stérilité de la page blanche qu'un romancier « vole » l'histoire personnelle de son analyste (La Femme de l'analyste), et c'est parce que personne ne veut écouter le récit des « sentinelles » que le régime nazi accomplit l'inimaginable et mène la Shoah à son terme (Les Sentinelles). Publiés au Dilettante, chez Buchet-Chastel et Grasset, tous les livres de Bruno Tessarech ont été réédités en « Folio », et la popularité de leur auteur a désormais franchi les frontières françaises.