Les Mots des mères
Longtemps, les hommes ont défini la maternité à leur manière. Progressivement, l’instruction des filles s’est généralisée, les femmes ont osé revendiquer leurs droits. Plus tard, le progrès des sciences biologiques et médicales leur a permis de limiter elles-mêmes leur fécondité et d’être mères selon leur volonté.
Cet ouvrage est constitué de quatre grandes séquences.
La première, consacrée à la fin de l’Ancien Régime, montre comment le vécu et les représentations de la maternité ont relativement peu évolué depuis les débuts du christianisme jusqu’à la fin de la monarchie absolue. La publication de correspondances privées donne accès à l’intimité des familles. Les changements décisifs commencent au temps des Lumières. Pendant la Révolution, les femmes sont actives (les plus combatives finissent sur l’échafaud). Elles sont fières de devenir « mères de citoyens ». Ensuite, le code civil promulgué par Napoléon les subordonne à nouveau.
Au XIXe siècle, lorsque, en 1848, la Deuxième République accorde le droit de suffrage à tous les hommes, et en exclut toutes les femmes, mères ou non, la revendication féministe prend forme et s’organise peu à peu, multipliant les témoignages et les articles dénonciateurs. Les textes narratifs relaient leurs luttes. Le roman devient un genre privilégié pour dénoncer les injustices et pour traiter de la libre maternité.
Au début du XXe siècle, dans la tourmente de la Première Guerre mondiale, les romans de l’arrière retracent le quotidien des « remplaçantes », qui font le travail des hommes mobilisés. Ils disent aussi la douleur des mères qui ont perdu leur fils au front. Durant l’entre-deux-guerres, tandis que les « garçonnes » s’affirment, certains romans disent la joie d’être mère et la parturiente devient un personnage central. La Deuxième Guerre mondiale, l’Occupation, les années noires, éprouvent les familles : les mères écrivent la lutte au quotidien, la Résistance et les camps de la mort. La plupart des témoignages cités n’ont été tirés de l’oubli que récemment.
Au milieu du siècle, l’apogée du baby-boom coïncide avec la révolution beauvoirienne, qui met à mal nombre d’idées reçues. Les femmes osent traiter de sujets tabous comme le viol et l’inceste. Elles trouvent les mots pour dire le corps, la jouissance, le désir d’enfant, la beauté de la naissance, l’avortement, le déni de grossesse, la folie maternelle, et aussi la mort de la mère. Leur fécondité littéraire devient intarissable.
Aujourd’hui, elles réfléchissent sur la procréation médicalement assistée et sur la complexité de la mission maternelle (nouvelles configurations familiales, maternité et travail, éducation, transmission).
Martine Sagaert
Martine Sagaert est professeure de littérature du XXe siècle à l'université de Toulon, directrice du Centre de recherches « Babel » et co-responsable de l'équipe « Femmes et genre ». Ses travaux portent sur la genèse textuelle et la maternité.
Yvonne Knibiehler
Yvonne Knibiehler est professeure honoraire à l'université de Provence. Pionnière de l'histoire des femmes et des mères, elle est l'auteure d'une vingtaine d'ouvrages, traduits en Europe, en Amérique du Sud et au Japon.