Une insolite curiosité
Alain Corbin, Lucien Jerphagnon, Michel Winock ou plus récemment Michelle Perrot et Benjamin Stora, Bouquins consacre un volume à l’œuvre de l’un de nos plus grands historiens, le plus grand spécialiste français de l’Antiquité.
Paul Veyne compte sans doute parmi les derniers intellectuels « totaux », témoin d’une époque où les sciences humaines, moins cloisonnées qu’aujourd’hui, autorisaient l’historien à écrire à l’occasion en philosophe ou en critique littéraire. Ce volume n’a pas pour unique ambition de lui rendre hommage. Il vise aussi à éclairer des pans originaux et plus méconnus d’une œuvre aux objets multiples.
Ces cinquante dernières années, nul en France n’a renouvelé davantage que Paul Veyne l’étude des sociétés anciennes. Son apport à la connaissance des mentalités grecque et romaine est considérable, et peu de domaines ont échappé à sa sagacité : la religion et les mythes, avec une attention particulière portée aux régimes de croyance et à l’articulation entre paganisme et christianisme (Quand notre monde est devenu chrétien), le politique et les rapports sociaux gouvernés par le clientélisme (Le Pain et le Cirque), la famille, le sexe et le droit dans une perspective qui emprunte beaucoup à l’anthropologie (La Vie privée sous l’Empire romain), la philosophie et la pensée stoïciennes à travers la figure centrale de Sénèque (Sénèque. Une introduction), etc. Ce que Paul Veyne a sans cesse montré avec un succès inégalé et dans un style brillant, ce sont les liens inextricables qui unissent ces différents pans du monde antique. Dès 1960, sa « Vie de Trimalcion » a fait date et marqué l’incursion réussie de l’école des Annales en histoire ancienne. Il s’est depuis imposé comme l’auteur d’une œuvre pionnière appelée à puissamment rénover une discipline sur laquelle il n’a parallèlement cessé de s’interroger, dans quelques textes épistémologiques capitaux, à commencer par sa leçon inaugurale au Collège de France. Pour autant, ses travaux ont toujours été en prise avec les soubresauts de son temps, comme en témoigne son dernier livre, publié en pleine guerre syrienne, Palmyre, l’irremplaçable trésor, qui connut un grand succès.
Sa vie témoigne du parcours d’une génération, née au début des années 1930 et qui a vécu la guerre entre enfance et adolescence : normalien au tout début des années 1950, proche un temps du parti communiste, prêtant main-forte au FLN pendant la guerre d’Algérie, puis partageant une complicité intellectuelle et amicale unique avec Michel Foucault jusqu’à la mort de ce dernier… Paul Veyne est revenu sur cet itinéraire emblématique dans un texte profond et lucide, Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, prix Femina Essai 2014, repris en ouverture. Ce « Bouquins » fait également la part belle au Veyne esthète, ami des arts, amateur de littérature et de peinture. S’il a abondamment traduit la poésie latine, élégiaque (L’Élégie érotique romaine), épique (l’Énéide) ou lyrique (traductions inédites d’Horace), il a aussi consacré de grands livres à René Char, dont il a été proche, ou à la peinture italienne de la Renaissance, et écrit quelques textes moins connus sur Nietzsche, Stendhal ou Machiavel.
Ce volume contient : Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas ; Palmyre, l’irremplaçable trésor ; Sénèque, une introduction ; L’Inventaire des différences (leçon inaugurale) ; préface au Prince de Machiavel ; Quand notre monde est devenu chrétien. Ainsi que de nombreux articles et extraits tirés, entre autres, de : L’Empire gréco-romain ; La Société romaine ; L’Élégie érotique romaine ; La Vie privée sous l’Empire romain ; Mon musée imaginaire ; Le Pain et le Cirque ; René Char en ses poèmes ; Foucault, sa pensée, sa personne ; La Villa des mystères à Pompéi ; Énéide.
Paul Veyne
Né en 1930, ancien élève de l'École normale supérieure, membre de l'École française de Rome (de 1955 à 1957), Paul Veyne, historien spécialiste de la Rome antique, est professeur honoraire du Collège de France.