Emmanuel Hocquard
Peindre un chien
Madame Sakaze habitait, derrière le cimetière, une maison construite par un de ses ancêtres, marin rescapé de la bataille de Trafalgar. C’est dans cette maison au milieu des eucalyptus que j’ai lu pour la première fois un album de Zig et Puce. Dans le jardin poussaient, à l’état sauvage, des fleurs au parfum d’héliotrope que j’ai longtemps associé à l’idée d’un bonheur sans fin.
Madame Sakaze avait un chien qu’elle chérissait plus que tout au monde. C’était un animal minuscule qui répondait au nom de Doña Sol.
Un jour, elle pria un artiste peintre de ses amis de peindre Doña Sol. Il proposa de peindre le chien en bleu, ou en vert.
– Mais non ! s’indigna Madame Sakaze. Il faut le peindre tel qu’il est.
– Dans ce cas, répondit le peintre, à quoi bon le peindre ? Il est très bien comme il est.
Dans une enquête méticuleuse et passionnante, Gilles A. Tiberghien nous entraîne à la découverte de l’oeuvre d’un écrivain qui incarne une modernité ne se limitant pas à la poésie. L’oeuvre d’Emmanuel Hocquard interroge la grammaire, dérobe des formes littéraires pour les transformer (celle du roman noir américain, par exemple), tend à l’effacement des genres et s’intéresse aux processus par lesquels l’écriture poétique consigne notre rapport au monde.
Cet intérêt porté à la modernité n’empêche pas l’écrivain de renouer avec des formes de la narration poétique, notamment celle de l’élégie dont il renouvelle le rythme et la signification.