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«À 1 h 50, Pemba et les deux Américains atteignirent le sommet. Ils contemplèrent le bleu infini hérissé de pics argentés avant de se regarder les uns les autres, longuement. – Nous l’avons fait…, murmura Ted. Le Sherpa s’accroupit et posa avec vénération le bout de ses doigts sur le toit du monde. Dix minutes plus tard, ils commençaient la descente. Le temps changeait déjà. Un peu plus bas sur l’arête, Namje et Sam assistaient, impuissants, à la querelle qui opposait Al et Rix. Le vent s’était levé; il était maintenant si fort que les deux hommes devaient hurler pour se faire entendre.– Il est trop tard; il faut faire demi-tour! C’est dangereux!– Putain, il reste moins de cent mètres! Va te faire foutre! J’irai tout seul.À court d’oxygène, l’Anglais suffoquait. Il s’écarta du guide et reprit l’ascension en titubant, trop près du bord de la corniche. Il suffisait d’un pas de côté pour qu’il traverse la croûte de glace qui surplombait la face dénudée du Kangchung.– Recule! hurla Al en se précipitant pour l’attraper. Ils oscillèrent ensemble, à quelques centimètres du vide.– Mauvais endroit, murmura Namje, le visage gris. Très mauvais.Sam, pétrifié de terreur, suivait la scène sans pouvoir intervenir. Les deux hommes reculèrent de trois pas puis de cinq, et remirent enfin leurs pieds dans les traces. Rix se dégagea et reprit son ascension, le visage levé aveuglément vers son but. Al le regardait, une main sur son masque.– Il devient fou, dit-il avec un geste d’impuissance lorsque Sam arriva à sa hauteur. Je ne peux pas l’arrêter. Je suis forcé de le suivre.– Je viens aussi, dit Sam. Ni l’endroit ni le moment ne permettaient à Al de s’y opposer.– Et toi, Namje?Le jeune Sherpa avait perdu son enthousiasme depuis l’avalanche dans la cascade de glace. – J’attends ici, dit-il en se calant à l’abri d’un rocher.Ils reprirent leur ascension, Sam restait sur les talons de Al, suivant ses mouvements, marchant au même rythme, comme les deux parties d’un tout.»