Les Très Sales Gosses
Quinze jours à peine après les attentats du 13 novembre, dans une France en pleine sidération, entre le deuil, l’état d’urgence, les débats sur la Constitution et les déclarations du procureur François Molins, une actualité a priori aux antipodes des thèmes du moment fait la une des médias : l’affaire de la sextape du footballeur Mathieu Valbuena, qui met en cause son coéquipier chez les Bleus, Karim Benzema. À première vue, le nouveau scandale apporte un peu de légèreté à des Français à cran. Or, très vite, on assiste à ce qui ressemble au combat entre deux France. Valbuena est plaint, mais aussi moqué de s’être tourné vers la justice pour régler son problème. Mis en examen, Benzema agace, une nouvelle fois, et les critiques pleuvent sur sa tête. Au point d’obliger le président de la FFF, Noël Le Graët, à annoncer, contre son gré, celui de son sélectionneur Didier Deschamps et à six mois de l’Euro, que le n°9 ne sera plus appelé en équipe de France tant que son sort judiciaire ne sera pas réglé. Benzema n’est pas le seul, pourtant, parmi les sportifs tricolores de classe internationale, à bafouer la loi, à piétiner la charte d’exemplarité signée avec leur Fédération. Le volleyeur N’gapeth, l’athlète Tamgho, le judoka Loïc Korval, les exemples sont nombreux. Parfois, ces champions sont issus de milieux compliqués, souvent originaires d’Afrique, du Maghreb… Mêmes origines, donc, que les auteurs des attentats de janvier et novembre 2015. Il y a alors un risque terrible de raccourcis, d’amalgames, de délits de sale gueule : Karim Benzema n’est pas le seul à avoir fauté mais aucun autre n’a eu droit à ce traitement ? PV d’instruction publiés, intervention publique du Premier ministre, en « off » du président de la République, déchaînement d’une rare violence de l’opinion publique avant même d’être jugé… presque une affaire d’État !
Pourquoi ? En cette période de crispations identitaires, reproche-t-on au joueur de ne pas être « assez » Français ? À l’opposé de ses détracteurs, quelques mois plus tôt, le rappeur Booba, idole des jeunes qui fustige la République et ses valeurs dans la moindre de ses rimes, déclarait au sujet des attentats de Charlie : « Quand on joue avec le feu, on se brûle.» Benzema et Booba sont différents, mais leurs fans sont les mêmes : ils se reconnaissent dans ces idoles au regard pour le moins mitigé sur l’Hexagone. Pourtant, ce pays tant décrié est le leur.
Au-delà de l’« affaire Benzema », une enquête dérangeante sur ces « idoles des jeunes » et les repères (faussés ?) qu’ils incarnent dans une société en plein doute.
Guillaume Dufy
Journaliste « football » àL'Équipe, Guillaume Dufy connaît par coeur le milieu du ballon rond et ses arcanes.
Rose Laure
Ancienne reporter àMatch, aujourd'hui journaliste d'investigation, Rose Laure est spécialisée dans les enquêtes sur la jeunesse, en particulier celle des quartiers.