Babi Yar
Anatole Kouznetsov avait 12 ans lorsque l’armée allemande occupa Kiev en 1941. Il habitait un faubourg situé à proximité du ravin de Babi Yar, lieu sinistrement célèbre, où des dizaines de milliers de personnes ont été massacrées par les nazis, dont une grande majorité de Juifs. Lorsqu’il put s’aventurer dans le ravin où avaient eu lieu les fusillades, il ne trouva que des cendres et se jura de témoigner un jour de ce qu’il avait vu. Il consigna aussitôt dans un cahier d’écolier les souvenirs de ces années atroces et, durant vingt ans, l’augmenta de ses réflexions personnelles, en marge de l’histoire officielle qui taisait la vérité des massacres et des drames qui les ont précédés ou suivis, après la fin de la guerre. Il y intégra des documents authentiques et des témoignages recueillis auprès des survivants, mena son enquête et composa un “ roman-document ” où s’entremêlent le fait historique, l’autobiographie et la méditation sur les dictatures du XXe siècle, sur la souffrance que l’homme est capable d’infliger à l’homme.
Lorsqu’il fit publier son roman en 1966, il fut accablé de constater que la censure l’avait réduit d’un tiers, supprimant la part gênante de la version authentique des évènements : l’extermination des Juifs de Kiev, la collaboration de beaucoup d’Ukrainiens et ses raisons véritables. Ce texte amputé et rendu conformiste fut aussitôt traduit à l’étranger, en France notamment, mais Kouznetsov, décidé à publier un jour son roman dans son intégrité, continua d’y travailler et “ choisit la liberté ” en 1969, emportant sur lui à Londres les microfilms du manuscrit.
Cette version a été publiée en 1970 en France, sans que son importance révélatrice soit perçue du public français. Elle est republiée aujourd’hui, dans une version rendue conforme à l’original, qui met à nu l’action de la censure et les raisons qui ont mené les autorités soviétiques à opérer ce déni de l’Histoire.
Anatole Kouznetsov
Anatole Kouznetsov est né en 1929 et a grandi dans un faubourg de Kiev situé près du ravin de Babi Yar où eurent lieu, quand il avait 12 ans, les massacres de masse commis pas les nazis de 1941 à 1943. Il décida, au sortir de la guerre, de consigner par écrit tout ce qu'il avait vu. Il exerça tout d'abord divers métiers manuels, fut ouvrier sur le chantier de la centrale hydroélectrique de Bratsk, dont il fit le sujet de son premier roman Suite d'une légende, publié en 1957 dans le style du réalisme socialiste, qui lui valut la reconnaissance officielle. Mais son grand roman fut écrit à partir de ses souvenirs de Baby Yar et des enquêtes et réflexions qu'il mena durant vingt ans sur ce drame aux multiples résonnances. Lorsque fut publié Babi Yar en 1966, d'abord en revue puis en livre, la censure avait mutilé son texte au point qu'il décida de « choisir la liberté » pour le publier en version intégrale. Il cacha les microfilms sur lui et demanda l'asile politique en Angleterre en 1969. Le livre connut un succès plus marqué en Angleterre qu'en France, lorsqu'il fut publié en 1970 dans sa version intégrale. Kouznetsov mourut dix ans après à Londres d'une crise cardiaque, ayant renoncé à écrire, à l'âge de 49 ans.
Annie Epelboin
Annie Epelboin, née à Paris, enseigne la littérature russe et comparée à l'université Paris-VIII. Elle est spécialiste de la période des années 1920 et 1930 (Andreï Platonov, Ossip Mandelstam) et aussi traductrice (Platonov, Kourkov, Kouznetsov). Elle a été productrice d'émissions radiophoniques, assistante de cinéma, critique littéraire.