La Dictature de la transparence
Peu de notions semblent a priori aussi vertueuses, donc aussi inoffensives, que celle de « transparence », synonyme de clarté, de sincérité voire de rectitude morale. Mais en philosophie, c’est bien connu, aucun concept n’est bon ou mauvais en soi. Et, à y bien regarder, rien n’est si clair qu’il n’y paraît lorsqu’il s’agit de transparence. Chaque citoyen a par exemple le droit d’être informé de la façon la plus objective. Faut-il pour autant tout montrer dans les médias, y compris les images les plus choquantes ? Si ce même citoyen se plaît à mettre en scène son intimité sur les réseaux sociaux, doit-il pour autant ne pas s’inquiéter de l’utilisation marchande ou sécuritaire de ses données personnelles ? Si un homme politique a pour obligation d’être irréprochable, peut-il tolérer d’être constamment épié, y compris jusque dans sa vie privée ? Cette recherche sans limite de « transparence » est en train de gommer une frontière qu’on croyait jusqu’ici sacrée : celle qui sépare l’espace publique de l’espace privé. Qu’il s’agisse de la presse à scandale ou de la téléréalité, de la vie de nos dirigeants, du traitement de l’information par les médias ou des nouvelles technologies, l’exigence de transparence s’est imposée dans tous les domaines de la société, glissant subrepticement de l’injonction morale au fantasme de contrôle absolu, au risque de nous conduire à la lisière du totalitarisme. C’est sur ce danger que Mazarine Pingeot a souhaité attirer l’attention.
Mazarine Pingeot
Normalienne, agrégée et professeure de philosophie, Mazarine Pingeot a déjà publié dix livres tous chez Julliard (dont Bouche cousue, Le Cimetière des poupées et Bon petit soldat) à l’exception d’Entretien avec Descartes, publié chez Plon.