Une source vive
L’enfance de Martin Walser coïncide avec les années de crise économique précédant la montée du nazisme et l’arrivée de Hitler au pouvoir. Né en 1927, Martin Walser n’a pas six ans quand Hitler devient chancelier du Reich, il en a dix-huit lors de la capitulation. Ce sont ces douze années fatidiques qui défilent dans son roman autobiographique, «Une source vive», telles que les a vécues Johann, le double de Martin Walser.Johann passe son enfance à Wasserburg, sur le lac de Constance. Tandis que l’idéologie national-socialiste gagne la vie provinciale, la mère choisit de s’inscrire au Parti: les réunions auront lieu dans son restaurant, la recette augmentant avec le nombre d’adhérents. Le père, lui, lutte à sa manière: il enseigne à son fils l’amour de la langue, lui apprend à épeler des mots venus d’ailleurs. À son insu, c’est l’amour de la liberté et un certain sens de l’égalité que lui lègue son père. Là naît sans doute la vocation d’écrivain de Johann, alias Martin Walser. Bien loin de se hisser au-dessus des événements et de transformer son enfance en une fresque historique, Walser nous raconte cette période telle que l’a vécue un petit garçon devenu adolescent, avec toute sa subjectivité. Semées dans la trame de ce destin, des scènes entrevues en arrière-plan (le prosélytisme nazi de l’un des personnages, le défilé à moto des S.A., le discours de Goebbels le jour de l’investiture de Hitler) nous font suivre comme autant de jalons le destin historique qui est en train de se tramer. On ne trouvera pas dans ce roman une explication de l’horreur nazie. Au contraire, après sa lecture, le mystère est plus épais encore: autant il serait commode d’imaginer le nazisme sur fond de crépuscule wagnérien ou de personnages démoniaques, autant la ville de Wasserburg semble loin de l’atrocité et de la démesure national-socialistes. Mais là est précisément la terrible vérité: le nazisme est passé aussi par Wasserburg; certains y ont adhéré d’emblée, par conviction ou par revanchisme, d’autres par intérêt, d’autres encore, les plus nombreux, ont courbé l’échine, attendant que l’orage passe. Et l’on voit que la vie continue malgré tout, qu’une enfance peut même s’y dérouler, pas si malheureuse que cela.
Martin Walser
Chez Robert Laffont, Martin Walser a publié Lettre à Lord Liszt (1985), Ressac (1987), Wolf et Doris (1989), La Chasse (1991), Dorn ou le Musée de l'enfance (1992) et Les Uns sans les autres (1994). En 1998, Une source vive a été récompensé par le prix de la Paix, décerné par les libraires.