À l’orée du pays fertile
« Être, à chaque mot, contemporain du premier homme : Adam des mots » : telle aurait pu être la devise de celui qui partagea sa vie entre son amour de l’écriture et sa passion des civilisations anciennes. Plus célèbre pour ses romans et ses récits de voyages, il a toutefois eu un véritable parcours poétique, plus discret mais issu de rencontres déterminantes, parmi lesquelles le surréalisme avec André Breton, la négritude avec Aimé Césaire, les grands classiques de la Grèce antique, avec la traduction de Sophocle ou d’Hérodote ou la peinture de Giorgio de Chirico. S’ajoute à cette liste celle des voyages, des traversées : Patmos, l’archipel des Cyclades, le Mont Athos, mais aussi la France, entre campagne et ville.
Celui qui chemine au creux de cette anthologie le comprend aussitôt : le tempérament nomade de son auteur imprime à cette poésie le caractère de l’éphémère, du fugitif. Les figures mythologiques, qu’elles soient argonautes, centaures, néréides ou gorgones, affluent sous la bannière de l’Immémorial Orphée – figure éternelle du poète. La contemplation des paysages, qui offre au langage ses états singuliers, cède devant le récit épique des batailles de l’Aurige, ce conducteur de char dont on retrouva la statue à Delphes. Le cri d’Icare tombant dans la mer résonne comme le cri originel de tout être humain. Cette poésie se situe entre un monde de nature et un monde par-delà la nature, empreint de mythe. De chaque mot, de chaque image, se dégage une sagesse infinie, loin de la contingence des époques, légère comme le nuage et solide comme le minéral. Car les éléments – eau, vent, feu, terre – sont partout présents, seules forces à l’épreuve du temps. Ces poèmes apparaissent donc, selon les termes de l’auteur lui-même, « bucoliques, agraires, forestiers, telluriques, aériens, nébuleux ou céréaliers. » Ils font parvenir jusqu’à nous la voix tout à fait singulière d’un bel esprit, généreux et rêveur.
Le livre paraîtra à l’occasion de la 13e édition du Printemps des poètes (7 au 21 mars 2011), dont le thème, fort opportun, est « Infinis paysages ».
Jacques Lacarrière
Écrivain, poète, traducteur et grand voyageur (1925-2005). Né à Limogne en 1925, Jacques Lacarrière passe toute sa jeunesse à Orléans, avant de venir décrocher une licence de lettres classiques à la Sorbonne, à Paris. Parallèlement, il suit des cours de grec moderne et d'hindi à l'École des langues orientales. Son premier voyage en Grèce date de 1947, mais c'est en juillet 1950 qu'il part pour la première fois seul en stop. Voyageant la plupart du temps à pied, il est vu comme l'un des précurseurs de la mode de la randonnée, ou des premiers « routards ». Passionné par ce pays, il y séjourne de 1952 à 1966 et découvre la culture grecque moderne. C'est la publication de L'Été grec dans la collection « Terre humaine » en 1976 qui le fait connaître comme écrivain. C'est un immense succès : « Lacarrière invente un genre qui tient de l'essai, du carnet de route, du poème en prose improvisé au rythme de la marche et du récit libéré de tous les codes formels. » peut-on lire dans la presse. Jacques Lacarrière écrit de nombreux livres sur la Grèce antique et moderne, mais il s'intéresse aussi à la Turquie, à la Syrie, à l'Égypte, à l'Inde... ainsi qu'aux régions de France où il a vécu, le Val de Loire, la Bourgogne. Il partage désormais son temps entre Paris, ses voyages, et le petit village de Sacy, dans l'Yonne, où il s'est installé dans la maison familiale. En 1991, il reçoit le Grand prix de l'Académie française pour l'ensemble de son oeuvre. Jacques Lacarrière est mort en septembre 2005 des suites d'une opération banale du genou, lui qui avait tant marché tout au long de sa vie.